le Japon et la religion chrétienne

    De temps à autre, je découvre des médias qui mettent l’accent sur la barbarie du Japon à l’encontre de la religion chrétienne dans son passé. Ca ressemble beaucoup au seul point de vue européen d’une situation géopolitique assez complexe.

    Pourtant le Japon n’a pas été réfractaire à la religion chrétienne lors de sa première rencontre…

    Dans le milieu du 16e siècle, les portugais arrivent par hasard au Japon. Ces derniers se sont déjà aventurés en Asie du sud-est, établissant de nombreux comptoirs commerciaux ; en compétition avec les Espagnols ; sous la réglementation de Torsedillas… Le contact est d’ordre commercial et les Japonais découvrent les occidentaux et leurs marchandises qui sont prisées : les armes à feu, la soie et divers produits comme les lunettes, le tabac, le vin…

    Ainsi les portugais établissent des comptoirs commerciaux dans le sud du Japon, « hub » de l’époque pour le commerce international avec la Corée, la Chine. Ils sont rejoins assez rapidement par les Espagnols, puisqu’ils sont en compétition.

    La politique occidentale d’alors associait le commerce et la religion, en faisant une pierre deux coups : remplir les caisses d’états et évangéliser les contrées dites « sauvages » ; voire même de coloniser les « barbares » sous-développés si ceux-ci s’en prenaient aux comptoirs commerciaux, ou aux missionnaires…

    Comme dans toutes compétitions, les compétiteurs ne sont pas toujours « fair-play », et il y en a toujours un, voire plus, qui va chercher à prendre le « leadership » sur les autres. Ainsi la rivalité entre Espagnols et Portugais va finir par se retourner contre eux… via la religion.

    Le Japon du moment est en pleine guerre civile : toutes les régions japonaises sont en conflit ; chaque gouverneur régional aspirant à devenir le leader du Japon… L’homme fort du moment s’appelle alors Oda Nobunaga et celui-ci, percevant l’apport économique d’un commerce avec les « étrangers du sud-est » (les occidentaux), leur ouvre des comptoirs commerciaux. Il ne cille nullement quand les missionnaires chrétiens frappent à sa porte, car les bouddhistes lui posent un problème politique. Il va donc utiliser les chrétiens, qu’il associe à une religion divergente du bouddhisme, pour contrer ses opposants… Les missionnaires vont donc en quelques années convertir des milliers de japonais : prolétaires comme aristocrates…

    Lorsque Oda Nobunaga décède via une traîtrise politique, son successeur maintient le commerce avec les Portugais et les Espagnols. Toutefois, les opposants bouddhistes ayant été défaits, Toyotomi Hideyoshi sent que les chrétiens, qui s’immiscent dans toutes les sphères publiques, risquent de poser un problème identique, d’autant plus qu’ils semblent ne répondre qu’à une seule autorité, étrangère de surcroît, le Pape ! Il pressent des troubles politiques à venir, et commence à établir des édits pour limiter l’influence politique de la religion chrétienne : il interdit le prosélytisme, interdit l’esclavage (les espagnols vendent des japonais comme esclaves dans leurs comptoirs du sud-est) et donne un délai aux missionnaires de quitter le Japon.

    Comme je le précise plus haut, le commerce d’alors est associé à la religion. Renier l’un c’est aussi renier l’autre… Étant donné que les gouverneurs de région s’enrichissent via le commerce étranger, ils ferment plus ou moins les yeux sur l’activité « religieuse étrangère » dans leurs domaines… Même si les chrétiens portent atteinte à l’ordre public en molestant les représentants des autres religions (bouddhistes et shinto), détruisent les édifices…

    Quelques années plus tard, un capitaine de vaisseau espagnol, lors d’une soirée bien arrosée, révèle que les conquêtes de son pays se sont faites grâce à la conversion des autochtones et l’aide des « conquistadores » qui viennent « policer » les conflits sous prétexte de défendre les chrétiens. C’en est trop pour Toyotomi Hideyoshi qui, pour l’exemple, fait crucifier une poignée de chrétiens, missionnaires et fidèles, à Nagasaki ; et durcit sa politique envers les chrétiens.

    A sa mort quelques années après, son successeur Tokugawa Ieyasu a la main-mise sur tout le Japon. Il durcit la politique contre les chrétiens… en interdisant l’accès au Japon aux espagnols et portugais, les remplaçant par les Hollandais ; et par cela récupérant une partie du commerce international, tout en restant dépendant de la Hollande. Toutefois il cantonne les Hollandais sur un seul comptoir et les contrôle, ne laissant aucune faille dans laquelle la religion chrétienne pourrait s’infiltrer. Pour minimiser davantage les infiltrations, il décrète la fermeture du pays aux autres nations et interdit aux japonais expatriés de revenir au Japon. Le début du 17e siècle ferme définitivement ses portes aux chrétiens, et va s’occuper des convertis à la manière japonaise...

 

Réf. : "Nouvelle histoire du Japon" par Pierre-François Souyri. Editions Perrin / "Le traité des cinq roues de Miyamoto Musashi" par M. Shibata Ed. Albin Michel / "La pénétration progressive des barbares du sud" par Christophe Belser  Revue Histoire du Japon.




 

Commentaires

  1. Merci pour cette analyse. Je ne m'y connais pas assez pour commenter. Mais je peux affirmer que de tous temps les religions ont fait des dégâts et qu'elles continuent encore à en faire..

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  2. Mme Chapeau,
    Il n'y a pas de niveau de connaissance minimum pour commenter quoi que ce soit... Le ressentis est bienvenu. Le "post" ci-dessus est une réflexion personnelle et une documentation aléatoire pour répondre à ma question : pourquoi le Japon a réussi à rester hors atteinte de l'emprise des chrétiens ? Il y a une réponse bâtarde qui point à l'horizon de ma réflexion : c'est une organisation étatique forte qui a repoussée l'infection que représente la religion chrétienne...
    ;-)

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